Par Benjamin L. – TheExpert UX/UI Designer chez Squad
Vous venez d’acheter un jeu multijoueur et vous commencez à explorer l’univers fantastique de ce monde rempli de montagnes, de trésors cachés et de zones inexplorées. Soudain, un joueur, qui visiblement attendait caché dans un buisson depuis un moment, vous saute dessus et vous tue sans que vous ne puissiez réagir. Il ne vous reste plus qu’à le regarder humilier votre cadavre et à penser au temps qu’il vous a fait perdre.
En tant que joueur, je ne comprends pas l’attaquant dans ce scénario. Pourquoi faire une chose pareille, qu’est-ce que ça peut lui apporter ?
En tant que designer, il est important que je puisse m’identifier à n’importe quel joueur, et il faut donc s’intéresser aux profils de joueurs qui ne me correspondent pas.
Mais comment caractériser les différents types de joueurs ? Cette question est étudiée depuis des dizaines d’années et les réponses apportées continuent d’évoluer. Regardons ensemble quelques tentatives de représentation.
Taxonomie de Bartle
Probablement la plus célèbre des représentations, cette taxonomie classe les joueurs en 4 catégories : les exploreurs, les accomplisseurs, les socialiseurs et les tueurs.
Les joueurs correspondent alors plus ou moins à chacune de ces catégories selon leur position sur deux axes : action vs interaction d’une part et monde vs joueurs d’autres part. Ainsi un tueur appréciera davantage agir sur d’autres joueurs, tandis qu’un exploreur aimera interagir avec le monde par exemple.
Ce modèle est largement utilisé, et une modification du nombre de joueur d’une catégorie a généralement une influence sur les autres catégories. Par exemple, si le nombre de tueurs dans un jeu augmente, il est probable que le nombre d’accomplisseurs diminue en conséquence. Connaître ces relations entre les différentes catégories de joueurs permet d’équilibrer la population des joueurs dans certains jeux, notamment dans les jeux massivement multijoueur (MMO).
Personnellement, d’après le test (anglais), je suis : Exploreur 73%, Accomplisseur 73%, Socialiseur 27%, Tueur 27%. Et vous ?
Si ce modèle vous intéresse, sachez qu’une version à 8 catégories existe, avec un 3ème axe : implicite vs explicite. Il est également intéressant de voir que chacun d’entre nous n’appartient pas à une unique catégorie, mais change de rôle au fur et à mesure de notre expérience avec le jeu.
Le modèle des Big Five adapté pour les joueurs
En psychologie, un modèle a été proposé pour représenter les facteurs qui constituent la personnalité de chacun d’entre nous. Il s’agit du modèle des Big Five, également appelé OCEAN car il contient 5 composantes :
- Ouverture : curiosité et imagination, appréciation de l’art, émotions et aventures
- Conscienciosité : organisation, autodiscipline, respect des obligations
- Extraversion : stimulation et recherche de la compagnie des autres
- Agréabilité : coopération, compatissance et croyance en la bonté des autres
- Neuroticisme : vulnérabilité et tendance à être instable émotionnellement
Ainsi il ne s’agit pas de 5 catégories de personnes, mais de 5 mesures différentes pour chacun d’entre nous, le tout constituant notre personnalité.
En quoi cela nous aide-t-il dans le domaine du jeu vidéo ? Jason VandenBerghe, designer chez Ubisoft, a adapté ce modèle pour déterminer les éléments de gameplay qui font qu’un jeu peut nous plaire ou non, selon nos traits de personnalité. Il parle de 5 domaines de jeu, chaque domaine correspondant à un trait du modèle des Big Five :
- Nouveauté (correspondant à l’Ouverture) : éléments nouveaux, beaux ou intéressants
- Challenge (correspondant à la Conscienciosité) : éléments demandant de l’autodiscipline
- Stimulation (correspondant à l’Extraversion) : éléments excitants ou provoquant une interaction sociale excitante
- Harmonie (correspondant à l’Agréabilité) : éléments permettant d’agir positivement envers d’autres joueurs
- Menace (correspondant au Neuroticisme) : éléments provoquant des émotions négatives sur les joueurs
Ce modèle évolue d’année en année, et dans sa conférence au GDC 2013, Jason VandenBerghe propose de laisser de côté la Menace, et de décomposer chacune des autres composantes en 4 sous catégories (en utilisant 2 axes comme pour la taxonomie de Bartle).
Ce nouveau modèle donne alors au total 256 types de joueurs possibles.
Prenons par exemple la Stimulation. Les deux axes proposés sont multijoueur vs solo et excitation vs sérénité. Un joueur ayant un score élevé sur la composante multijoueur et sur la composante excitation sera alors plutôt attiré par des jeux de type party game, tandis qu’un joueur ayant un score faible sur ces deux composantes se tournera davantage sur des jeux calmes et contemplatifs. De même, un joueur multijoueur-sérénité aimera des jeux calmes mais offrant des interactions avec les autres joueurs, tandis qu’un joueur solo-excitation préfèrera des jeux d’action solo.
Conclusion
Les modèles de représentation des différents types de joueurs sont nombreux et toujours remis en question, mais certains de ces modèles sont grandement reconnus et acceptés. Je vous en ai présenté 2. Ces modèles servent alors à chacun de découvrir qui ils sont, mais servent surtout aux designers de jeux vidéo.
Les designers s’en servent pour 2 raisons, cibler un public particulier et améliorer leur empathie envers un groupe de joueurs qui ne correspond pas à leur propre personnalité. Car c’est notre travail de designer d’aller gratter, fouiller, et comprendre des comportements et goûts qui ne nous correspondent pas.
Et quoi de mieux pour développer son empathie que de jouer un rôle ? Je vais donc relancer un jeu, aller me cacher dans un buisson et attendre sournoisement qu’un explorateur passe pour le détrousser, mwahaha !
Ressources
The Bartle Test of Gamer Psychology
HEARTS, CLUBS, DIAMONDS, SPADES: PLAYERS WHO SUIT MUDS
Bartle's Taxonomy - What Type of Player are You? - Extra Credits
Balancing an MMO Ecosystem - Getting a Mix of Player Types - Extra Credits
Player Type Theory: Uses and Abuses | Richard BARTLE
Applying the 5 Domains of Play: Acting Like Players