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Etat des lieux de l’accessibilité de trois sites de réservation de billets de transports

Par M.Benassaya – User eXperience & Accessibility Expert chez SQUAD

Avec l’évolution du web et la place centrale qu’occupe le numérique dans notre société, les interfaces deviennent de plus en plus complexes et riches avec beaucoup d’interactions variées. De nombreuses tâches quotidiennes, administratives ou de loisir, comme la réservation de billets de transport peuvent être réalisées en ligne. Ce type de tâches peut nécessiter des traitements cognitifs variés et de haut niveau (recherche d’information, lecture, compréhension, comparaison des résultats, prise de décision, saisie d’informations, etc.). Une personne voyante est aidée par la structuration et par les indices visuels pour accomplir une tâche de réservation. Ces propriétés structurelles et de mise en forme facilitent la mise en place d’une stratégie de navigation non séquentielle. Si les normes d’accessibilité actuelles et les technologies d’assistance tendent à permettre la restitution à l’utilisateur de la structuration visuelle des pages web, cette restitution reste limitée et très dépendante de la conception des pages web. Au travers d’une analyse de trois sites de réservation de billets en ligne, conformes aux normes d’accessibilité, nous cherchons à évaluer si l’absence de retranscription de ces éléments nuit à la compréhension et à la navigation des personnes non-voyantes dans une tâche de réservation.

1. PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES

Malgré les apports techniques et politiques indéniables associés à la mise en place des normes Web Content Accessibility Guidelines 2.0 (WCAG 2.0) (W3C, 2013) en matière d’accessibilité web, leur application sur un site web garantit uniquement ce que l’on appelle l’accessibilité normative et non l’accessibilité effective (Giraud, 2014). Même si cette approche normative permet en théorie la réussite d’une tâche de navigation, elle n’en assure pas pour autant l’efficience et la satisfaction, au sens de l’utilisabilité (ISO, 1998). Selon Power & al. (2012) seulement 50% des défauts d’accessibilité rencontrés par des utilisateurs non-voyants lors de la navigation web peuvent être résolus par les recommandations WCAG 2.0. Réaliser une tâche complexe avec une interface riche visuellement et en termes d’interactions, telle qu’une tâche de réservation de billet de transport, suppose alors que les normes d’accessibilité atteignent leurs limites en termes d’utilisabilité.  En cause, la prise en compte limitée des indices visuels et structurels (Issa & al., 2009) (espacements, disposition des zones, marques typographiques, saillance visuelle, etc.) qui soutiennent les traitements cognitifs lors de la réalisation de la tâche et limitent la désorientation. Par exemple, Plégat – Soutjis (2004) indique que les indices visuels présents au sein de l’organisation structurelle et graphique sont impliqués dans la compréhension sémantique d’un site web. Également, Baccino et Drai-Zerbib (2015) avancent que le codage spatial, à savoir le traitement du texte avec sa localisation spatiale, fournit une aide en termes de mémorisation et d’identification des informations importantes et pertinentes tout en facilitant la mise en place de stratégies d’exploration du contenu. Sur un site web les éléments structurels et de mise en forme contribuent à constituer des regroupements perceptifs guidant la recherche visuelle d’information par une stratégie de lecture-balayage (Léger & al., 2006). Par conséquent, leurs effets facilitateurs de la structuration visuelle des pages web en termes de recherche d’information peuvent être amoindris, voire perdus pour les utilisateurs non-voyants. Dans cette étude exploratoire, il s’agit d’analyser l’accessibilité effective de 3 sites de réservation de vol considérés comme accessibles sur le plan normatif en simulant les conditions d’interaction des utilisateurs non-voyants, afin d’étudier l’impact de la non-retranscription des indices visuels sur la réalisation d’une tâche de réservation.

2. MÉTHODE ET MATÉRIEL

Actuellement, l’évaluation de l’accessibilité peut être réalisée à partir d’outils automatiques de vérification de la conformité WCAG 2.0 des pages web. Cependant, ces outils automatisés ne doivent pas se substituer à une réelle expertise humaine (AccessiWeb, 2014) car leur évaluation de certains critères reste limitée (p. ex. juger de l’adéquation d’une alternative textuelle à une image) mais surtout ils ne relèvent pas les éléments liés à l’accessibilité effective. Etant donné nos objectifs d’études, nous avons dans un premier temps, vérifié la conformité de notre corpus au niveau AA de la WCAG 2.0 (W3C, 2013) et du RGAA, le référentiel français général d’accessibilité des administrations (SGMAP, 2016). Une fois ce pré-requis validé, nous avons utilisé la méthode de l’inspection ergonomique en appliquant les critères ergonomiques (Bastien & al., 1993) afin d’analyser l’accessibilité effective des parcours de réservation pour des utilisateurs non-voyants. Cette méthode d’analyse d’interface permet de cibler les défauts d’ergonomie d’une interface à partir d’une liste d’heuristiques définies. Le choix de cette méthode se justifie par l’application combinée des normes d’accessibilité et des heuristiques ergonomiques.

Après une phase d’apprentissage de la navigation au clavier et des outils d’assistance, nous avons utilisé le lecteur d’écran JAWS et le navigateur web Firefox, qui sont respectivement le lecteur d’écran et le navigateur les plus utilisés au quotidien par les utilisateurs non-voyants (Atalan, 2015). Les parcours de réservation du site Air France (http://www.airfrance.fr/) et des sites Voyages SNCF (http://www.voyages-sncf.com/) et Ouigo (http://www.ouigo.com/) font l’objet de notre étude, pour en vérifier l’accessibilité normative, l’accessibilité effective et également l’homogénéité des parcours de réservation afin que nos objets d’étude soient similaires en termes de sous-tâches.

3. RESULTATS

3.1. Des parcours utilisateurs et une structure de page homogènes

Il ressort que les étapes du tunnel de réservation sont homogènes pour les trois sites, à savoir : 1) Recherche, 2) Résultats de recherche, 3) Récapitulatif, 4) Sélection des options/sièges, 5) Coordonnées, 6) Paiement. En ce qui concerne l’organisation des parcours, elle est également quasiment similaire entre les sites, hormis pour la SNCF qui propose sur la page des résultats de recherche les options du voyage alors que les autres sites en font une page indépendante comme illustré par une flèche dans la figure 1. Les utilisateurs sont confrontés aux mêmes parcours pour atteindre leurs objectifs

Figure 1. Illustration de l’organisation des parcours de réservations
Figure 1. Illustration de l’organisation des parcours de réservations

Les pages possèdent également une structure similaire selon les différentes étapes des tunnels de réservation. Les pages de recherche comportent des champs de saisie structurés sur une ou deux lignes. Les pages de résultats présentent les différentes possibilités de voyages à l’utilisateur sous forme de listes, des onglets permettant de basculer sur les jours suivants ou précédents les dates du voyage et une zone récapitulative de la recherche. Les pages récapitulatives retracent le voyage sous un format en liste et comporte une zone de détails du tarif. Les pages d’options sont également présentées sous forme d’encarts avec des boutons à cocher, excepté pour le site Voyages SNCF qui intègre ces options à la page de résultats, impactant sa structure. Les pages de coordonnées distribuent les champs de saisie verticalement. Enfin, les pages de paiement sont organisées en deux colonnes avec une zone de complétion et une zone récapitulative.

3.2. Des contenus accessibles

Les sites étant conformes aux normes de la WCAG 2.0, les points positifs sont retrouvés de manière homogène au travers des différents pages. Une précédente étude (Web AIM, 2013) a montré que les principaux défauts d’accessibilité concernaient les liens et boutons ambigus, les étiquettes mal associées avec les champs de formulaires ou encore l’absence de texte alternatif aux images ou éléments visuels. Cependant, témoignant de l’application des normes en vigueur, les trois sites étudiés ne révèlent pas ces défauts. Les liens et boutons sont très explicites sur leurs destinations. La complétion des champs de saisie est facilitée par l’auto-complétion, les intitulés explicites sont bien associés et le format de boîte combinée (combobox) offre également des alternatives de complétion efficaces. Egalement, la nature et l’état des éléments interactifs bien précisés facilitent leur utilisation. Le site Ouigo semble être le plus simple à utiliser et va quelque peu au-delà des normes d’accessibilité comme par exemple, la gestion de saisie des dates de voyages qui se fait manuellement, sans ouvrir un calendrier dynamique mais avec le format de complétion bien précisé. Cependant ces éléments conformes ne garantissent pas leur accessibilité effective.

3.3. Une utilisabilité non-accessible

Excepté sur OUIGO les calendriers dynamiques pour saisir les dates du voyage pose des problèmes d’accessibilité effective. Sur Voyages SNCF, la sémantique des étiquettes du calendrier n’indique pas qu’il s’agit des dates du voyage à saisir (Figure 2). Le seul indice visuel pour comprendre cette sémantique implicite est le pictogramme calendrier. La seule possibilité de remplir les champs est donc de saisir manuellement les dates mais étant donné qu’il n’y a pas de guidage sur le format, le risque d’erreur est très élevé. Le calendrier d’Air France est accessible mais complexe pour une navigation au clavier. Sur la page de résultats des vols, l’absence de tri, filtres et liens d’évitement force la consultation de chaque information car les normes d’accessibilité ne retranscrivent pas les différents niveaux de lecture. Il existe sur cette page des éléments de mise en forme (couleur des horaires, des prix etc.) qui hiérarchisent les informations selon leur niveau de pertinence. Sans retranscription de ces propriétés visuelles, les informations sont au même niveau de lecture et complexes à discriminer. En ce qui concerne la gestion des erreurs, la nature de l’erreur est précisée, cependant il n’y a aucune redirection automatique vers les champs en erreur, ce qui laisse présager des difficultés d’auto-correction. La structure des pages en deux colonnes, comportant les récapitulatifs de réservation, génère de la redondance qui vient alourdir la navigation et consultation d’information. Ainsi, l’accessibilité normative permet bien la consultation mais ne facilite ni le traitement ni la manipulation de l’information, ce que l’accessibilité effective améliorerait par la retranscription des indices visuels.

Excepté sur OUIGO les calendriers dynamiques pour saisir les dates du voyage pose des problèmes d’accessibilité effective. Sur Voyages SNCF, la sémantique des étiquettes du calendrier n’indique pas qu’il s’agit des dates du voyage à saisir (Figure 2). Le seul indice visuel pour comprendre cette sémantique implicite est le pictogramme calendrier. La seule possibilité de remplir les champs est donc de saisir manuellement les dates mais étant donné qu’il n’y a pas de guidage sur le format, le risque d’erreur est très élevé. Le calendrier d’Air France est accessible mais complexe pour une navigation au clavier. Sur la page de résultats des vols, l’absence de tri, filtres et liens d’évitement force la consultation de chaque information car les normes d’accessibilité ne retranscrivent pas les différents niveaux de lecture. Il existe sur cette page des éléments de mise en forme (couleur des horaires, des prix etc.) qui hiérarchisent les informations selon leur niveau de pertinence. Sans retranscription de ces propriétés visuelles, les informations sont au même niveau de lecture et complexes à discriminer. En ce qui concerne la gestion des erreurs, la nature de l’erreur est précisée, cependant il n’y a aucune redirection automatique vers les champs en erreur, ce qui laisse présager des difficultés d’auto-correction. La structure des pages en deux colonnes, comportant les récapitulatifs de réservation, génère de la redondance qui vient alourdir la navigation et consultation d’information. Ainsi, l’accessibilité normative permet bien la consultation mais ne facilite ni le traitement ni la manipulation de l’information, ce que l’accessibilité effective améliorerait par la retranscription des indices visuels.

4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES

Cette étude exploratoire a permis de faire un premier état des lieux sur l’impact des normes d’accessibilité en termes d’apport et de limites dans l’utilisation des interfaces de réservation de billets de transports. Cette étude s’inscrivant dans le cadre d’une thèse sur l’accessibilité des interfaces de réservation de billets d’avion, fournit des premières données à vérifier/enrichir à l’aide de tests utilisateurs. Ces travaux ont permis de se familiariser avec la façon dont les utilisateurs non-voyants naviguent à l’aide des outils d’assistance mais aussi d’élaborer des hypothèses théoriques à approfondir. Nous envisageons l’observation in situ des personnes non-voyantes dans la réalisation d’une tâche de réservation de billets d’avion au travers d’un échantillon plus large de sites. Les résultats attendus de cette recherche visent non seulement à alimenter les normes d’accessibilité mais aussi à faire évoluer les bonnes pratiques de conception. Améliorer l’accessibilité effective passe par une analyse des besoins des utilisateurs non-voyants mais aussi par l’étude des indices visuels qui vont guider et faciliter la compréhension des utilisateurs lors du parcours de réservation. L’analyse de la mise en forme matérielle des pages (Schmid, 2001) en s’appuyant sur le modèle d’architecture textuelle (Virbel, 1989) et le langage des images de pages (Luc, Mojahid et Virbel, 2001) pourraient permettre la restitution de ces indices afin que l’utilisateur non-voyant puisse se représenter la structure des pages et améliorer sa compréhension.

5. RÉFÉRENCES

AccessiWeb. (2014). Les outils pour l’évaluation de l’accessibilité d’un site. Consulté le 29 Mai 2017 à http://www.braillenet.org/accessibilite/guide/outils.htm.

Atalan. (2015). Usages des lecteurs d’écrans en 2015 : résultats du sondage. Consulté le 17 Février 2017 à http://blog.atalan.fr/usage-des-lecteurs-decrans-en-2015-resultats-du-sondage/

Bastien, J. C., Scapin, D. L. (1993). Ergonomic criteria for the evaluation of human-computer interfaces (Doctoral dissertation, Inria).

Giraud, S. (2014, Octobre). L’accessibilité des interfaces informatiques riches pour les déficients visuels. Université Nice Sophia Antipolis. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01154444/document. Consulté le 11 Avril 2016.

Issa, Y. B., Mojahid, M., Oriola, B., Vigouroux, N. (2009). Accessibility for the blind: An automated audio/tactile description of pictures in digital documents. In Advances in Computational Tools for Engineering Applications, 2009. ACTEA’09. International Conference on (pp. 591-594). IEEE.

Léger, L., Tijus, C., & Baccino, T. (2006). Disposition spatiale et détection de mots. Le travail humain, 69(4), 349-377.

Luc, C.; Mojahid, M.; Virbel, J. (2001). Système notationnel de l’architecture textuelle par image de page. Rapport technique, MCE.

Organisation international de normalisation (ISO) (Ed., 1998). Ergonomic requirements for office work with visual display terminals (VDTs) – Part 11: Guidance on usability (ISO 9241-11).

Plégat-Soutjis, F. (2004). Sémantique graphique des interfaces. Communication et langages, 142(1), 19-32.

Power, C. Freire, A. Petrie, H. Swallow, D. (2012). Guidelines are only half of the story: accessibility problems encountered by blind users on the web. In Proceedings of the SIGCHI Conference on Human Factors in Computing Systems (CHI’12). ACM, New York, NY, USA, 433-442.

Schmid, S., 2001. Représentation organisationnelle et compréhension : rôle de la mise en forme matérielle dans la lecture. Université de Nice.

Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. (2016). Référentiel général d’accessibilité des administrations (RGAA) 3.0. Les documents de référence du S.I. de l’État, 2016. Consulté le 11 Avril 2016 à http://references.modernisation.gouv.fr/rgaa-accessibilite.

Virbel, J., 1989. The Contribution of Linguistic Knowledge to the Interpretation of Text Structures. In J. André, V. Quint, & R. Furuta, eds. Structured documents. New York, NY, USA: Cambridge University Press, pp. 161–180.

W3C. (2013). Web Content Accessibility Guidelines (WCAG) 2.0. Consulté le 15 Février 2017 à http://www.w3.org/TR/WCAG20/.

Web AIM. (2013). Screen Reader User Survey Results. Consulté le 17 avril 2013 à http://webaim.org/projects/screenreadersurvey2/.